Dans l’épisode “La peur muselante”, Rex revient troublé. Son ami Vargas, un Terre-Neuve paisible et joueur, porte désormais une muselière. Rien dans son comportement ne justifie cette décision. Il s’endort aux pieds des enfants, s’écarte lorsque des tensions apparaissent, et recule même devant une coccinelle. Pourtant, ce chien tranquille se retrouve désormais étiqueté comme un risque potentiel.
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Minou, toujours plus lucide que les humains qui l’entourent, résume la situation sans détour : “Il n’a rien fait… donc il peut tout faire.” C’est précisément ce glissement qui dérange. Vargas n’est pas jugé sur ses actes, mais sur ce que son physique permet d’imaginer.
Son gabarit, sa force supposée, son allure massive suffisent à alimenter la peur de ceux qui préfèrent se prémunir contre une hypothèse plutôt que regarder la réalité en face.
On ne sanctionne plus les comportements. On anticipe les possibles.
Cette façon de voir les choses dépasse largement le cas de Vargas. Dans la rue, dans les transports, dans certains parcs, on muselle des chiens avant même qu’ils aient pu montrer le moindre signe de danger. On ne cherche pas à comprendre ce qu’ils sont. On décide, à leur place, de ce qu’ils pourraient devenir. Cette logique transforme des précautions légitimes en soupçons permanents. Le chien devient une probabilité à contenir, une silhouette à contrôler.
Derrière cette approche, il ne reste plus grand-chose de la confiance qui devrait être le socle de la relation entre l’humain et l’animal. Au lieu d’un véritable accompagnement, on en arrive à instaurer une surveillance constante, à multiplier les règles et les limites. Ces dispositifs ne sont bien souvent pas pensés pour répondre à une difficulté réelle, mais plutôt pour apaiser les craintes de l’humain lui-même, qui cherche à se rassurer en encadrant chaque geste de son compagnon.
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Les chiens sentent tout, même quand on fait semblant de rien.
Un chien n’a pas besoin d’explications pour percevoir ce qui se joue autour de lui. Il comprend à travers les gestes, les tensions dans la laisse, les hésitations dans les attitudes. Il capte les jugements, même quand ils ne sont pas exprimés à voix haute. Lorsqu’on commence à agir avec lui comme s’il était un problème, il réagit. Certains se ferment, d’autres s’agitent, et beaucoup s’ajustent pour ne pas gêner davantage.
Dans certains cas, cette adaptation est interprétée à tort comme de la sagesse. On pense que le chien est bien éduqué, alors qu’il ne fait que s’effacer. Ce n’est pas de la coopération, c’est de la résignation. Et cette résignation finit par être valorisée, comme si elle confirmait que la méfiance initiale était justifiée.
“On change de trottoir, mais on ne regarde plus les chiens.” — Sylvie Ducret –
Sylvie Ducret, éducatrice canine et fondatrice de Le Chien et Vous, intervient régulièrement auprès des propriétaires de chiens dits “de catégorie”. Lors d’une formation, une participante a partagé ce qu’elle vit au quotidien : “Depuis que mon chien porte une muselière, 75 % des gens changent de trottoir.” Cette remarque a provoqué un léger malaise dans le groupe, que Sylvie a volontairement secoué. Elle leur a répondu : “C’est parfait.”
Face à leur étonnement, elle a précisé sa pensée. Grâce à la muselière, certaines interactions non souhaitées disparaissent. On ne vient plus imposer une caresse. On ne bouscule plus le chien. On le laisse tranquille. Cette réalité est indiscutable.
Mais elle soulève une question plus lourde encore : pourquoi faut-il un objet dissuasif pour que les humains respectent la distance ?
Dans le cas de Vargas, comme dans celui de nombreux autres chiens, la muselière ne protège pas seulement les passants. Elle les rassure sur leur propre impuissance. Ce qu’ils redoutent, ce n’est pas ce que le chien a déjà fait, mais ce qu’il pourrait faire un jour. Et dans ce raisonnement, il suffit que le chien ait la capacité physique de mordre pour devenir suspect. Peu importe qu’il n’en ait jamais montré l’intention.
Sylvie alerte également sur un point trop souvent oublié. “Un chien muselé ne peut plus se défendre. Si un autre chien s’approche et devient agressif, il ne pourra pas répondre. Il est désarmé.” Cette vulnérabilité, invisible aux yeux du public, transforme un outil de prévention en facteur de risque.
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Comportementaliste & communicante animale – dans le 67
Ce n’est pas l’objet qui pose problème, mais ce qu’on choisit d’y projeter.
Hélène Chatain, éducatrice, travaille depuis des mois avec des chiens de tous profils. Elle considère que la muselière, en soi, ne représente pas un problème. “Lorsqu’elle est introduite dès le plus jeune âge, dans un climat de confiance, elle peut être aussi bien acceptée qu’un harnais.”
Ce qu’elle déplore, en revanche, c’est l’association systématique entre muselière et dangerosité. Pour la majorité des gens, un chien muselé est un chien à surveiller. Cette croyance n’a souvent aucun lien avec la réalité du chien concerné. Mais elle suffit à modifier le regard, à changer la posture, à installer une forme de distance instinctive et durable.
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Éducatrice canine et médiatrice animale – Région Normandie
Ce n’est pas Vargas qui a changé, c’est le regard des autres.
Le chien que Rex connaissait n’a pas disparu. Il n’a pas cessé d’être doux, attentif, respectueux. Mais désormais, la muselière qu’il porte modifie tout ce qui l’entoure. Les gens s’écartent. Certains murmurent. D’autres tiennent leur propre chien un peu plus court. Vargas n’a rien fait de différent, mais la projection a changé. Ce n’est plus un chien tranquille. C’est un chien potentiellement dangereux. Et cette simple possibilité suffit à créer de l’isolement.
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Les muselières les plus solides ne sont pas toujours visibles.
Les humains aussi portent des muselières, même si elles ne sont pas en nylon. Certaines prennent la forme du silence, d’un regard évité, d’une parole retenue. On apprend à ne pas faire de bruit. À ne pas prendre de place. À ne pas trop montrer ce qui pourrait déranger. D’autres, au contraire, imposent des muselières sociales à ceux qu’ils croisent : des jugements rapides, des stigmatisations implicites, des barrières dressées avant même le premier mot.
Minou le dit avec sa clarté habituelle : “Les humains ont des muselières à l’intérieur.” Et peut-être que ce sont les chiens qui, sans un mot, nous rappellent qu’elles existent.
À retenir de tout cet épisode
- Une muselière n’est pas toujours une punition.
Elle peut être utilisée en prévention, dans le calme, sans traumatisme, à condition d’être bien introduite et respectueuse du chien.
- Le regard social peut suffire à exclure un chien.
Ce que les gens perçoivent — taille, race, allure — influence leur comportement plus que les faits.
- Certains objets rassurent les humains, mais isolent les animaux.
Ce qui soulage la peur humaine peut aussi créer de l’incompréhension, de l’injustice ou de la vulnérabilité chez l’animal.
Foire aux questions – Muselière, usage, regard
La muselière est-elle obligatoire pour certains chiens ?
Oui. En France, les chiens de catégorie 1 et 2 (ex. : American Staffordshire Terrier, Rottweiler…) doivent obligatoirement porter une muselière dans les lieux publics. Par ailleurs, dans les transports en commun, tous les chiens de grande taille peuvent y être soumis, quelle que soit leur race.
Faut-il s’inquiéter lorsqu’un chien porte une muselière ?
Non. Une muselière n’est pas synonyme de dangerosité. Elle peut être portée par un chien parfaitement stable, simplement pour répondre à une obligation légale ou rassurer les passants. Il est important de ne pas juger un chien à partir de cet équipement.
Est-ce qu’une muselière fait souffrir un chien ?
Tout dépend du modèle et de la manière dont elle a été introduite. Une muselière bien adaptée, bien posée et bien acceptée ne gêne pas le chien. En revanche, certains modèles mal ajustés peuvent empêcher de boire, haleter ou respirer correctement, ce qui peut générer du stress ou de l’inconfort.
Un chien muselé est-il vulnérable face aux autres chiens ?
Oui. S’il ne peut pas ouvrir la gueule, il ne peut ni se défendre, ni envoyer certains signaux sociaux. En cas d’agression par un autre chien non tenu en laisse, il peut se retrouver sans solution.
Comment habituer un chien à la muselière sans stress ?
L’habituation doit se faire en dehors de toute contrainte, de façon progressive. On peut utiliser le renforcement positif, des jeux, des friandises, et des sessions très courtes pour que le chien associe la muselière à une situation neutre voire agréable. Ce travail peut être encadré par un éducateur comportementaliste.
Pour les professionnels – information pour les pros animaliers
Pour les professionnel·les du bien-être animal
Les témoignages publiés dans cet article proviennent de professionnelles du secteur référencées sur Planipets Pro, plateforme partenaire de Planipets Média.
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Pour les propriétaires d’animaux
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Par Loréna Achemoukh pour Planipets Média
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